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Référent laïcité ou référent neutralité ? Quelle plus-value par rapport au référent déontologue ?

La laïcité est de plus en plus souvent abordée dans les débats publics. Souvent mal interprétée, une solution à cette incompréhension semble avoir été trouvée pour les collectivités locales par la création du référent laïcité. Ce dernier doit permettre aux agents territoriaux d’appréhender pleinement le sens et la portée du principe de laïcité et de son corollaire, l’obligation de neutralité. Cependant, le principe de laïcité est déjà lié à celui de la neutralité, qui fait déjà lui-même intégralement partie des obligations déontologiques des agents publics. Par conséquent, le référent laïcité répond-il aux besoins existants ?

                 

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Le référent laïcité est créé par l’article 28 ter de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République (I), et qui dispose que les administrations de l’Etat, les collectivités territoriales et les établissements publics désignent un référent laïcité.

De plus, l’article 124-3 du Code général de la fonction publique depuis l’Ordonnance n°2021-1574 du 24 novembre 2021 dispose que

 “le référent laïcité est chargé d’apporter tout conseil utile au respect du principe de laïcité à tout agent public ou chef de service qui le consulte. Il est chargé d’organiser une journée de la laïcité le 9 décembre de chaque année. Les fonctions de référent laïcité s’exercent sous réserve de la responsabilité et des prérogatives du chef de service”.

Une chose particulièrement intéressante avec ces articles est que le référent est bel et bien chargé d’apporter des conseils sur le principe de laïcité. Se pose alors la question de la différence entre le principe de laïcité et la laïcité elle-même.

I. Laïcité et principe de laïcité.

L’article 1er de la Constitution dispose, comme tout le monde le sait, que “La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée”.

Pourtant, le Conseil Constitutionnel a été saisi en 2012 [1] par le Conseil d’Etat lors d’une question prioritaire de constitutionnalité qui expose dans son 5ème considérant, après un rappel de ce même article de la Constitution, que

le principe de laïcité figure au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit ; qu’il en résulte la neutralité de l’État ; qu’il en résulte également que la République ne reconnaît aucun culte ; que le principe de laïcité impose notamment le respect de toutes les croyances, l’égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion et que la République garantit le libre exercice des cultes ; qu’il implique que celle-ci ne salarie aucun culte”.

Ainsi, le principe de laïcité impose la neutralité de l’Etat et on peut noter qu’il est constitutionnellement protégé en France, tandis que la laïcité elle-même découle de la loi de séparation des Églises et de l’État du 9 décembre 1905. Cette loi ne s’arrête pas à imposer à l’État de ne pas reconnaître, salarier ou subventionner les religions, mais elle laisse transparaître la garantie de la liberté en disposant que la République "assure la liberté de conscience", et qu’elle "garantit le libre exercice des cultes" [2] [3].

Cela nous montre bien que la laïcité est un principe de liberté [4] permis par la neutralité de l’Etat, alors que le principe de laïcité est celui qui, avant tout, impose à l’Etat d’être neutre. C’est donc le principe de laïcité qui permet la laïcité.

Cela nous permet donc d’affirmer que la République est laïque et que l’Etat est neutre.

Cette distinction est essentielle, en ce que la République est un système de gouvernement basé sur la souveraineté populaire et l’élection de représentants, tandis que l’État est une entité politique et administrative qui exerce le pouvoir sur un territoire donné. Par conséquent, dans une République, l’État est l’organe par lequel le pouvoir est exercé au nom du peuple [5].

II. Référent laïcité et neutralité.

Le référent laïcité, en étant chargé “d’apporter tout conseil utile au respect du principe de laïcité à tout fonctionnaire ou chef de service qui le consulte”, doit-il se borner à l’unique principe de laïcité et donc de neutralité de l’Etat ?

D’après l’article 5 du décret n° 2021-1802 du 23 décembre 2021 relatif au référent laïcité dans la fonction publique, celui-ci

 “exerce les missions suivantes :1° Le conseil aux chefs de service et aux agents publics pour la mise en œuvre du principe de laïcité, notamment par l’analyse et la réponse aux sollicitations de ces derniers portant sur des situations individuelles ou sur des questions d’ordre général ;2° La sensibilisation des agents publics au principe de laïcité et la diffusion, au sein de l’administration concernée, de l’information au sujet de ce principe ;3° L’organisation, à son niveau et le cas échéant en coordination avec d’autres référents laïcité, de la journée de la laïcité le 9 décembre de chaque année.A la demande de l’autorité mentionnée aux 1° à 3° de l’article 1er, le référent peut être sollicité en cas de difficulté dans l’application du principe de laïcité entre un agent et des usagers du service public”.

Ce dernier point du décret est particulier, car si le principe de laïcité a une portée déontologique sur les obligations des agents publics en matière de neutralité, les usagers du service public n’y sont pas soumis [6]. On voit difficilement comment un conseil utile à ce sujet pourra être mis en œuvre s’il n’est pas relatif à la neutralité, ou à l’impartialité.

La lecture de l’article L121-2 du Chapitre Ier sur les obligations générales du Code général de la fonction publique dispose que :

Dans l’exercice de ses fonctions, l’agent public est tenu à l’obligation de neutralité.Il exerce ses fonctions dans le respect du principe de laïcité. A ce titre, il s’abstient notamment de manifester ses opinions religieuses. Il est formé à ce principe.L’agent public traite de façon égale toutes les personnes et respecte leur liberté de conscience et leur dignité”.

Cet article nous montre le lien qui est fait par le législateur entre le principe de laïcité et celui de neutralité. Par ailleurs, il nous questionne sur le fait que l’article L121 dans son intégralité dispose des obligations déontologiques des agents publics tel que la dignité, l’impartialité, l’intégrité, la probité le secret professionnel, la discrétion professionnelle, le fait de ne pas être en situation de conflit d’intérêts …

Il apparaît donc que les compétences du référent laïcité semblent intégralement prises en charge par le référent déontologue.

III. Le référent laïcité et le référent déontologue.

On peut donc se demander s’il y a une redondance avec les compétences déjà pourvues par le référent déontologue.

En effet, le référent déontologue doit aussi obligatoirement être désigné par les collectivités depuis la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires qui institue que tous les agents exerçant dans la fonction publique ont la possibilité de consulter un référent déontologue. Sa fonction est définie par l’article L124-2 du CGFP comme suit :

Tout agent public a le droit de consulter un référent déontologue, chargé de lui apporter tout conseil utile au respect des obligations et des principes déontologiques mentionnés aux chapitres I à III et au présent chapitre. Cette fonction de conseil s’exerce sans préjudice de la responsabilité et des prérogatives du chef de service”.

Nous avons vu que dans ces chapitres étaient disposés justement l’obligation de neutralité des agents publics et le respect du principe de laïcité.

Cela s’explique par le fait que le non-respect du principe de neutralité est de nature à mettre l’agent dans une situation de conflit d’intérêts, disposé par l’article L121-5 et défini comme toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif des fonctions de l’agent public, l’intérêt pouvant être moral.

Cette codification fait retomber de facto ces cas dans les compétences du référent déontologue avec l’application de l’article 8 du décret n° 2017-519 du 10 avril 2017 relatif au au rôle de ce dernier, qui dispose qu’il apporte aux personnes intéressées, le cas échéant, tout conseil de nature à faire cesser ce conflit. Ainsi, tout soupçon d’infraction à la neutralité tombe sous les prérogatives du référent déontologue.

Ces points de similitudes vont jusqu’aux critères de nomination des deux référents, sensiblement les mêmes, à savoir qu’ils sont désignés parmi les magistrats, fonctionnaires et militaires, en activité ou retraités, ou parmi les agents contractuels bénéficiant d’un contrat à durée indéterminée [7].

C’est d’ailleurs pourquoi, dans la pratique, les référents déontologues sont souvent nommés référents laïcité.

La seule compétence propre au référent laïcité n’est, de fait, que le l’organisation de la journée de la laïcité du 9 décembre pour la promotion du principe de laïcité dont l’organisation peut se faire en coordination avec d’autres référents laïcité [8].

En conclusion, il en découle deux possibilités : il faut soit ouvrir les compétences du référent laïcité pour apporter tout conseil utile aux questions relatives à la laïcité et non plus au principe de laïcité, soit supprimer cette fonction, puisque dans l’espèce, ce n’est que redondance.

A l’heure actuelle, on ne peut que regretter que le référent laïcité ne soit qu’un instrument de plus pour aiguiller les agents publics dans l’application de leurs obligations, à travers son devoir de conseil sur le principe de laïcité. Il serait en revanche davantage intéressant en tant qu’ambassadeur de la laïcité dans ce qu’elle a de plus noble, son principe de liberté.


[1] Décision n° 2012-297 QPC du 21 février 2013.


[2] Avec certaines réserves d’ordre public.

[3] Article 1 de la loi du 9 décembre 1905 sur la séparation des Églises et de l’Etat.

[4] De conscience et de croyances.

[5] Ou de la nation.

[6] Quelques exceptions sont à noter mais elles ne rentrent pas dans l’objet de cet article.

[7] Article 3 du décret Décret n° 2021-1802 du 23 décembre 2021 relatif au référent laïcité dans la fonction publique pour le référent laïcité et article 3 du Décret n° 2017-519 du 10 avril 2017 relatif au référent déontologue dans la fonction publique pour le référent déontologue.

[8] Article 5 du décret n° 2021-1802 du 23 décembre 2021 relatif au référent laïcité dans la fonction publique.

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