La perception de la déontologie sur les agents de la fonction publique territoriale paraît-elle légitime pour justifier le recours au spectre disciplinaire en cas de faute ? A l’heure où le sens au travail prend une importance chez les employés et où la déontologie se développe, il faut que l’autorité territoriale prenne ses responsabilités quant à ce développement en l’intégrant au management des agents publics.
-
Au sommaire de cet article...
I) La déontologie dans la fonction publique, nouvel enjeu d’autorité.
A) La restauration de la légitimité de l’autorité territoriale.
B) Les moyens déontologiques à dispositions des collectivités et des agents.
II) Usage du disciplinaire et risque de perte de légitimité.
A) La recherche de la proportionnalité de la sanction appliquée à la faute.
L’enjeu pour cette dernière est de comprendre en quoi la déontologie diffère d’une simple articulation des droits et devoirs des agents publics propre à leur statut, et d’intégrer que la déontologie doit être réciproque.
Le management par la sanction pour les manquements à la déontologie est contre-productif et nuit à la santé mentale des effectifs en renforçant la perte de sens au travail et le sentiment persistant d’injustice.
La déontologie prendra réellement son essor lorsqu’elle permettra de créer un consensus de valeur au sein de la collectivité. Pour ce faire, elle doit respecter une éthique qui doit se détacher du caractère fautif d’un comportement, et ainsi ne plus être attachée qu’au pouvoir disciplinaire de l’employeur ; en comptant notamment sur les référents déontologues, les cartographies de risques d’atteintes à la probité et les chartes de déontologies.
I) La déontologie dans la fonction publique, nouvel enjeu d’autorité.
La déontologie, l’éthique et la morale ont beaucoup de définitions résultant de la finalité recherchée [1].
Pour certains auteurs, l’éthique se distingue par son caractère social ou la morale est personnelle alors que la déontologie résulte d’une éthique professionnelle. Pour d’autres, la déontologie, selon les mots de l’inventeur du terme J. Bentham, se définit comme l’éthique dicastique [2], en opposition à l’éthique exégétique, alors que la morale ne se résume qu’en la traduction latine de l’éthique des Grecs [3].
Nous préférons reprendre les termes de son fondateur, J.Bentham, en définissant l’éthique dicastique comme l’éthique qui impose toutes sortes de règles et d’interdits, y compris la loi et les normes sociales. Par complémentarité se trouve l’éthique exégétique qui prend son fondement dans la recherche d’un bien commun en la somme des biens individuels.
A) La restauration de la légitimité de l’autorité territoriale.
Pour comprendre la notion de légitimité de l’autorité, qu’elle soit territoriale ou étatique, il faut se plonger dans les ouvrages de Max Weber avec dans un premier temps la différence entre la puissance et l’autorité. La puissance désigne « toute chance de faire triompher sa propre volonté sur celle d’autrui, peu importe sur quoi repose cette chance » [4] et l’autorité repose sur « un minimum de volonté d’obéir » [5]. Cette distinction est alors cruciale, l’acteur étant une personne publique et étant compétent sur les pouvoirs régaliens. Cependant, il faut rappeler que cette oligopole (répartie entre l’état, les préfets et les maires, mais monopole si on ne souhaite présenter que le pouvoir déconcentré) n’est que la conséquence de l’autorité et le fondement de la violence légale et que cet article traite avant tout de la relation qu’entretient l’autorité territoriale avec ses propres agents.
La naissance de la déontologie actuelle vient de cette volonté de redonner aux citoyens la confiance déclinante envers la fonction publique [6]. Le terme de déontologie n’ayant pas été choisi aléatoirement, il en découle des chartes et des moyens de contrôle de certains acteurs de la fonction publique.
On peut déjà constater que l’enjeu premier de la déontologie, à travers ses obligations pour la transparence, est de ne pas tomber dans une domination traditionnelle mais de bien justifier la domination légale. Cette domination légale passe par les rappels tels que le bienfondé de l’Etat de droit, ce qui retombe indubitablement sur ses représentants : les agents publics (et les élus dans une moindre mesure (en termes d’obligations)).
En découle le régime des droits et obligations des agents publics, avec la neutralité, l’obligation d’obéissance hiérarchique, l’obligation de service et le principe de non cumul d’activité, de dignité, d’impartialité, d’intégrité et de probité, principe de laïcité et d’égalité de traitement, la prévention des conflits d’intérêts, l’obligation de secret et de discrétion professionnel, l’obligation de réserve [7]…
Toutes ces obligations découlent de la déontologie, basée sur l’éthique ou la morale en fonction des traductions.
Si on retourne sur l’interprétation Wébérienne avec la différence entre la puissance et l’autorité, on voit que l’une comme l’autre trouve son fondement dans le management des agents publics. En effet, leur obligation peut alors émaner de la puissance de l’autorité territoriale, pour assurer une autorité sur les citoyens, même si la forme de l’autorité reste à privilégier.
Il en découle aussi que l’autorité est une force de commandement qui exclut le recours à la sanction pour ne pas être caractérisée de puissance ; d’où les moyens déontologiques préventif qui se créent en amont, puisque la sanction commence où s’arrête l’autorité. Et que la déontologie vise à valoriser la légitimité qui résulte forcément de l’autorité.
La légitimité de sanctionner découle donc d’un manquement à la déontologie par les agents d’une autorité territoriale qui aurait failli en son pouvoir d’autorité, devant ainsi se contraindre à devenir un pouvoir territorial.
La légitimité de la sanction est apportée en l’espèce de l’article Article L530-1 :
« Toute faute commise par un fonctionnaire dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions l’expose à une sanction disciplinaire sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale. Les dispositions de cet article sont applicables aux agents contractuels ».
Cependant, la déontologie, dans son caractère dicastique se référant aux différents codes et articles visant à rendre la fonction publique exemplaire, il semble que cet article soit hors de propos, pour ne pas légitimer un moyen par lui-même. Ainsi, on peut se questionner sur le caractère légal mais illégitime de la sanction.
La légitimité morale de la sanction semble être l’argument à chercher dans les exigences axiologiques de la gestion moderne des collectivités et ce dernier semble devoir passer par les moyens préventifs à la sanction. En effet, il semble impossible de se baser sur les notions morale, innée ou acquise, attendu que bien qu’œuvrant pour l’intérêt général, une récente étude sur le sens donné au travail chez les agents publics démontre que 80% déclarent même être confrontés "régulièrement" ou "très fréquemment" à ce sentiment d’absurdité dans l’exercice de leur travail [8].
B) Les moyens déontologiques à dispositions des collectivités et des agents.
Autre que le régime disciplinaire qui ne doit pas figurer dans les moyens d’autorité de la mise en place de la déontologie dans la fonction publique, on trouve le droit. Les termes qui relèvent des obligations des agents publics, disposés aux "titre II du Code général de la fonction publique", ne sont pas compréhensibles dans leurs implications concrètes. L’on préfère alors dans un premier temps à ce droit dur, un droit mou par les chartes de déontologie.
La mise en place d’une charte de déontologie n’a pas de valeur contraignante si cette dernière concerne les agents [9]. Par extension on trouve la charte de déontologie des élus qui elle à une valeur normative puisque disposée à l’article 111-1.1 du CGCT mais qui porte les mêmes griefs que le droit dur. De ce fait, les chartes de déontologie doivent être mises en place pour les agents et pour les élus, même si le régime de sanction est différent.
Outre la différence du régime de sanction, on peut s’interroger sur la valeur juridique et éthique de ces documents. En effet, qualifiés de document hybride, ils n’ont pas en eux même de valeur juridique mais en ce qu’ils expliquent concrètement les bonnes pratiques en matière de droit et obligations des agents publics ils se basent sur des sources légales et en cela peuvent faire l’objet de sanctions pénales. Il faut néanmoins noter qu’en dehors du caractère pénal, la charte peut avoir une valeur contraignante au titre de règlement intérieur, et ainsi faire l’objet de sanctions, d’où notre interrogation sur leur légitimité.
Ces chartes de déontologie, pour être utiles, ne doivent pas se borner à paraphraser les articles déjà en vigueur mais doivent avoir un aspect pédagogique. Elle doit éviter le piège de codifier pour codifier, et doit avoir une vertu pédagogique et de consensus pour éviter les travers déjà trop connus du droit : "Les lois et les droits se transmettent comme une maladie éternelle ; ils se traînent de génération en génération, et passent sans bruit de lieux en lieux. La raison devient folie, le bienfait devient tourment" [10]. C’est d’ailleurs dans ce même sens que va le nouveau mode de rédaction de la Cour de cassation, vers une simplification de son style rédactionnel pour une meilleure compréhension et accessibilité. Ainsi pour que l’outil atteigne son objectif préventif aux sanctions et donc aux fautes, il se doit d’être compréhensible, précis et partagé au sein de la collectivité.
Pour créer le consensus autour de ce document, et ainsi bénéficier de son plein potentiel, il doit faire figure d’autorité, et dans cet objectif, doit avoir un caractère contraignant et persuasif [11]. Puisqu’il est question de légitimité, ce document ne peut pas s’arrêter à des dispositions mais doit être le relai de la transmission de valeurs communes. C’est en cela que la charte doit refléter un cadre socialisant pour que la sanction qui puisse en découler en cas de méconnaissance des obligations soit efficace et intégré dans un dispositif plus global de responsabilisation. L’affirmation « se conduire moralement, c’est agir suivant une norme, déterminant la conduite à tenir dans le cas donné avant même que nous n’ayons été nécessité à prendre un parti » [12] nous pousse à croire en l’exhaustivité que doit se procurer ce document, et de l’engagement la responsabilité de l’employeur en cas de manquements.
Pourtant, en pratique, peu de chartes de déontologie apportent une plus-value sur les textes en vigueur, et aucune n’a été construite avec les agents.
Pour les agents, le référent déontologue est le second moyen de promouvoir, non pas la déontologie, mais la légitimité de la valeur contraignante des décrets et des lois relatives à leurs droits et obligations. En effet ce dernier, est chargé par l’article L124-2 [13] d’apporter tout conseil utile aux agents qui le demandent. La réserve de l’aide apportée par le référent déontologue étant conditionnée à la demande de l’agent, on voit l’importance du déploiement de la sensibilisation aux obligations déontologiques, via la charte. Le référent déontologue est obligatoire pour toutes les collectivités, en prenant forme pour les plus petites comme une compétence obligatoire des centres de gestion de la fonction publique territoriale [14]. Pourtant peu de moyens de promotion de ce dispositif ont été mis en place, ayant pour résultat évident le peu de saisines de ce dernier et donc le peu de conseils apportés aux agents.
Enfin, un troisième volet réside en la place de la cartographie de risques d’atteintes à la probité dont la mise en place est fortement recommandée par l’AFA [15]. Ce document recense, hiérarchise et vise à corriger tous les risques d’atteintes à la déontologie en visant les termes disposés dans la loi Sapin II qui regroupe la corruption, la concussion, le trafic d’influence, la prise illégale d’intérêts… Cet instrument est déjà obligatoire pour quelques grands établissements publics dont l’enjeu financier est particulier [16]. On peut donc constater que, dans la majorité des collectivités dans lesquelles ce n’est pas obligatoire, l’employeur peut se contenter d’un régime de sanction a posteriori, sans n’avoir rien prévu pour se prémunir du risque. Or, les principes déontologiques s’imposant à tous les agents, il est regrettable de n’en prémunir qu’une partie, laissant l’autre à une libre appréciation d’une morale personnelle et pouvant le cas échéant, le spectre des atteintes à la probité étant suffisamment vaste, être caractérisée de faute. Il en est d’autant plus regrettable qu’en particulier les atteintes à la probité relèvent aussi d’un caractère pénal, ayant comme résultat une potentielle double sanction de l’agent fautif. On peut aussi, mais ce sera l’objet de la seconde partie, s’interroger sur la perception de la légitimité de la sanction lorsqu’elle résulte d’une faute non intentionnelle.
Il en va de même sur le nouveau régime de sanction qui résulte de la réforme de la responsabilité des gestionnaires publics [17] qui s’interroge exclusivement sur le caractère fautif et financièrement préjudiciable des fautes commises par les agents.
Le constat que nous pouvons établir est qu’entre autre, les chartes, la place du référent déontologue, les cartographies de risques ont beaucoup de difficulté à démontrer leur efficacité et donc à être mises en place car l’autorité territoriale n’y voit en général que peu d’intérêt, préférant se référer à la loi plutôt qu’à la création de leur propre charte. Pourtant, pour la cohésion et un consensus des affectifs en la notion d’intérêt général et en matière d’autorité, le droit est et doit rester "le dernier langage commun disponible dans une société de type libéral (…). Autrement dit, tant que les acteurs sociaux partageaient un certain nombre de convictions et de références morales et politiques communes, le droit ne jouait qu’un rôle secondaire : celui d’étai ou de rail de sécurité ; mais à présent que ces axiologies partagées font défaut, que règne le pluralisme des idées, des références et des valeurs, le droit est investi d’enjeux beaucoup plus décisifs et souffre d’un extraordinaire report de charge" [18]. D’où un questionnement général sur la place de la déontologie, définie par son créateur comme l’éthique distique, qui, en se bornant à un instrument de codification, manque à associer les agents dans la mise en place de la déontologie, par le concours de l’éthique exégétique ? Dans l’absolu, on peut partir du principe que l’exégétique mène à l’autre, mais cette logique n’est valable que si on oublie le régime des sanctions et leurs effets. En effet, la légitimité de la sanction ne sera pas la même si elle est dépourvue du consensus et de la représentation des valeurs communes de la collectivité. L’agent fautif ne bénéficiera pas de la même acceptation de la sanction en cas de faute …
On peut donc se demander, puisque tout manquement peut se traduire par des sanctions, comment, en ne mettant que peu d’instruments d’accompagnement des agents dans leur obligations, l’autorité peut intégrer positivement des sanctions ?
II) Usage du disciplinaire et risque de perte de légitimité.
L’utilisation par l’autorité de son pouvoir disciplinaire lorsqu’elle prend la décision de sanctionner un comportement fautif ne se fait pas sans conséquences, pour le fautif mais aussi pour elle-même avec l’intervention de son pouvoir managérial. Deux questions se posent alors, celui de l’intérêt à sanctionner qui ne peut être déconnecté de la recherche de la proportionnalité de la sanction appliquée à la faute en fonction de plusieurs critères d’atténuation ou d’accentuation à la discrétion de l’autorité et au cas par cas.
A) La recherche de la proportionnalité de la sanction appliquée à la faute.
Comme énoncé précédemment, la réponse à la faute est apportée par la sanction. Et lorsqu’il y a sanction, il y a transition de l’autorité vers la puissance, impliquant la perte du minimum de volonté d’obéir, et de fédérer ; ce qui pose un problème en termes de confiance et qui rend hors sujet la déontologie dans son objectif de redonner la confiance des citoyens envers leurs institutions, les agents étant aussi des citoyens.
Déjà, s’il faut que les agents respectent la déontologie, il est du devoir déontologique de présenter et sensibiliser les agents à leurs obligations. Puisque, à l’inverse de Guyau qui idéalise l’humanité en pensant que le progrès ferait disparaître le régime disciplinaire [19], on remarque la prévoyance de Durkheim : « D’un autre côté, puisque la morale est une discipline, puisqu’elle nous commande, c’est évidemment que les actes qu’elles réclament de nous ne sont pas selon la pente de notre nature individuelle. Si elle nous demandait simplement de suivre notre nature, elle n’aurait pas besoin de nous parler sur un ton impératif. L’autorité n’est nécessaire que pour arrêter, contenir des forces rebelles, non pour inviter des forces données à se développer dans leur sens. On a dit que la morale avait pour fonction d’empêcher l’individu d’empiéter sur des domaines qui lui sont interdits, et, en un sens, rien n’est plus exact. La morale est un vaste système d’interdits » [20]. Cet extrait nous montre l’utilité de la pédagogie avant les sanctions, et donc l’utilité de l’éthique exégétique.
L’héritage de la philosophie platonicienne nous dit que l’autorité de la justice et de l’équité repose sur l’intervention d’un tiers neutre, impartial et désintéressé [21].
C’est donc, en matière de faute commise relevant d’une sanction disciplinaire supérieur au premier groupe, du ressort du conseil de discipline Leur formation collégiale et équilibrée [22] permet de remplir les conditions de la légitimité de l’autorité à sanctionner. Cependant, un autre point crucial est à prendre en compte, celui de la finalité de cette institution. En effet, les avis rendus par les conseils de disciplines ne sont que consultatifs [23], et l’autorité territoriale reste libre de le suivre ou non, et ainsi qu’appliquer une sanction plus ou moins lourde. L’autorité territoriale, dont le parti est celui de la première victime, des fautes commises par son agent (déontologiquement parlant puisque c’est son image qui est écornée) reste libre du pouvoir discrétionnaire. L’utilité du conseil de discipline peut donc être remise en cause, ainsi que la légitimité de la sanction prononcée par la collectivité si elle s’émancipe de l’avis rendu par le conseil.
La collectivité ne sera pas apte, manquant de recul sur elle-même, à prendre comme critères d’atténuation de la faute le manque de moyens déontologiques préventifs qui lui incombe. Ainsi, en sanctionnant l’agent, elle sanctionne sa propre incompétence à développer la déontologie dans sa structure et en le faisant peser sur un tiers. Cette finalité n’a aucune vertu morale, et ne permet qu’une loi du talion [24] biaisée.
L’une des limites à apporter à ce raisonnement réside dans la possibilité de recours devant les juges de l’excès de pouvoir, pour dénoncer le caractère disproportionné de la faute. Cependant il faut prendre en compte deux éléments pour s’assurer du bienfondé de cette possibilité. Le premier : « tant que les acteurs sociaux partageaient un certain nombre de convictions et de références morales et politiques communes, le droit ne jouait qu’un rôle secondaire : celui d’étai ou de rail de sécurité » [25] donc le recours au juge administratif doit être considéré comme un échec de toute la déontologie ; et le deuxième réside dans le fait qu’une grande partie des agents préférera subir l’injustice d’une sanction, supporter l’illégitimité d’une autorité plutôt que de "mordre la main qui le nourrit".
Dans tous les cas, la sanction n’aura aucune vertu sur l’agent ou sur la collectivité.L’incompréhension de la sanction peut aussi faire l’objet d’un sentiment d’acharnement institutionnel : on pense à tort qu’on ne peut pas être puni deux fois pour la même faute, pourtant, l’on trouve le régime disciplinaire et le régime pénal, tous deux indépendants et à la recherche de la proportionnalité de la faute, ce qui présume qu’une faute peut induire une sanction proportionnelle en double. Ce raisonnement peut même être poussé à son paroxysme d’injustice puisque bien que l’objectivité de la juridiction pénale et que celle du conseil de discipline sont garanties, et donc leur bien fondé à se prononcer sur l’application d’une sanction à une faute ne peut être remis en cause, le jeu des moyens de preuve peut créer une différence sur le caractère fautif aux antipodes l’un de l’autre, ce qui crée nécessairement la perte du ressenti de légitimité d’au moins l’un d’entre eux. A ces deux volets peut s’ajouter les sanctions (sous peine d’amende) appliquées par les juridictions spécialisées [26], en prenant l’exemple des amendes infligées aux agents fautifs entrant dans le champ de la réforme de la responsabilité des gestionnaires publics.
B) La finalité de la sanction.
Comme nous l’avons vu, une sanction doit faire l’objet de proportionnalité. Cependant, cela implique un raisonnement qui confond la punition et la sanction. En effet, la sanction doit s’attacher à éradiquer des comportements alors que la punition ne sert qu’à une logique de soumission et châtiant l’individu fautif [27]. Cette distinction est plus parlante ici : "Si la punition sert à condamner un acte, elle a pour objectif l’empêchement de la satisfaction de cet acte et l’obéissance à l’adulte. La sanction, en tant que célébration, est une reconnaissance sociale portant sur un acte d’une personne. En tant que réprobation, la sanction s’adresse au sujet acteur pour une élaboration du sens et des conséquences [28]. Elle recherche une rupture des répétitions dans les relations de la personne au sein du groupe" [29]. La logique de proportionnalité de la sanction semble donc déraisonnée, plus appropriée au champ de la punition, (même si une sanction peut avoir un caractère punitif), et la question qui devrait résulter du régime disciplinaire devrait plutôt résider en la transmission de valeur qui peut s’opérer.
Appliquée aux données que l’on a sur l’année 2021, on voit que les deux premiers motifs de sanctions [30] sont : la "Qualité de service", représentant 61% des sanctions distribuées, et les "incorrections, violences, insultes, harcèlement moral" qui représente 15% du panel des 7 500 sanctions disciplinaires prononcées sur l’année. On peut remarquer que ces sanctions ne font pas nécessairement suite à de la méconnaissance du statut attendu que 88% sont à l’encontre de fonctionnaires (et non de contractuels). Le fonctionnaire ayant vocation à rester en poste, il est primordial de s’intéresser à la finalité de la sanction, attendu que l’effectif ne pourra pas être renouvelé en fonction de la volonté de l’employeur [31]. Il faut aussi noter la perte de confiance des agents en leur administration et la démotivation dans leur travail (qu’ils soient victimes de la sanction ou témoins).
Les sanctions qui peuvent être appliquées aux agents sont disposées dans le Titre III du Code général de la fonction publique, et est traité plus précisément de l’article L530-1 à L533-6. Ainsi, le régime disciplinaire applicable à un fonctionnaire est les suivants : les sanctions qui peuvent être prises à l’encontre des fonctionnaires vont du simple avertissement à la révocation. (Celles pour les contractuels de droit public sont quelque peu différentes mais on y retrouve les principes d’avertissement, de blâme, l’exclusion temporaire, avec le terme de licenciement à la place de celui de radiation).Elles sont réparties en quatre groupes :
1er groupe :
L’avertissement
Le blâme
L’exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de trois jours.
2ème groupe :
La radiation du tableau d’avancement
L’abaissement d’échelon à l’échelon immédiatement inférieur à celui détenu par l’agent
L’exclusion temporaire de fonctions pour une durée de quatre à quinze jours.
3ème groupe :
La rétrogradation au grade immédiatement inférieur et à un échelon correspondant à un indice égal ou immédiatement inférieur à celui détenu par l’agent
L’exclusion temporaire de fonctions pour une durée de seize jours à deux ans.
4ème groupe :
La mise à la retraite d’office
La révocation
La radiation du tableau d’avancement peut également être prononcée à titre de sanction complémentaire d’une des sanctions des deuxième et troisième groupes.
A la lecture de ce qu’une autorité territoriale peut appliquer pour soumettre l’agent, nous voyons que les sanctions résident en un caractère pécuniairement répréhensif et d’évincement de la collectivité. Il est regrettable de constater ce retard à l’heure ou la justice restaurative prend son essor [32]. Cette justice restaurative, qui prône avant le caractère matériel d’un tort l’objectif de restauration morale et émotionnelle. Pouvons-nous donc nous contenter de ces sanctions, données au nom de la déontologie alors que ces dernières ne comportent rien de moral ?
Il est tentant de penser que la partie pédagogique d’une sanction, et donc sa mission morale, son empathie qui, lorsqu’elle se manifeste, empêche réellement les récidives (fonction de rétribution) réside dans le débat des arguments pour le respect du principe du contradictoire au sein du conseil de discipline. Il faut garder à l’esprit que le débat est uniquement orienté sur la faute et la sanction à lui appliquer. Ainsi, aucun bénéfice moral ne peut en être tiré et, dans les mêmes incompréhensions que la justice traditionnelle, on augmente la dureté de la sanction si on veut s’assurer qu’il n’y aura pas de récidives. Ainsi, plutôt que d’être éduqué, on exclut un agent, parfois deux ans ; des années pendant lesquelles il ne percevra pas de traitement donc pas de rémunération, et où les obligations déontologiques ne lui permettront pas de trouver un autre emploi (sauf cas particulier entrant dans le champ d’application du décret du 30 janvier 2020 et sous autorisation de l’autorité territoriale). On assiste donc, lorsqu’une sanction n’a pas d’autre finalité que de sanctionner, à une déontologie sans morale, à l’application de textes sans finalité et donc sans cohésion, et à une application du pouvoir stricte.
"Mais qu’est-ce qu’un rappel à la loi si la loi est inique ? Qu’est-ce qu’un rappel à la loi si celle-ci n’est qu’une petite règle tatillonne ? Réfléchir sur la sanction, c’est toujours réfléchir en amont de celle-ci. Le sens et la lisibilité de la loi et plus fondamentalement la mise en place d’un véritable cadre socialisant sont une exigence essentielle car la sanction ne prend sens et efficience que comme élément d’un dispositif plus global où se nouent paroles, lois et responsabilités" [33].
Pourtant la légitimité de la sanction ne dépend que de sa vertu éducative en matière d’autorité territoriale. En effet, si le but est de punir ou si les agissements sont suffisamment graves il y aura une application du droit pénal. Or en l’état, les sanctions ne sont pas efficaces et créent un refus de l’autorité. En somme un effet inversement recherché.
En l’état, les sanctions apparaissent comme des mesures d’urgence pour éloigner l’auteur des faits de la collectivité, ne se différenciant pas dans la finalité de la suspension de fonction [34].
Pour reprendre les 4 fonctions d’une sanction [35], classées par ordre croissant de plus-value pour le fautif et pour la collectivité :
Fonction de prévention.
La fonction de prévention générale tient en une intimidation collective dissuasive visant à prévenir voire empêcher les atteintes à la déontologie. Cependant, ce caractère de prévention semble complètement inutile, attendu qu’aucune certitude ne peut être affirmée quant à l’efficacité [36] et que la seule affirmation qui puisse en découler est "que la menace de la peine n’apparaît efficace, en principe, que pour les catégories de personnes pour lesquelles elle n’est pas utile" [37].
Fonction de réparation.
La réparation implique la réparation par le fautif des dommages qui découlent de ses actes et elle peut avoir une forme plus symbolique que concrète [38]. Ce que l’on remarque, c’est que le régime de sanctions précédemment présenté l’exclu intégralement.
Fonction de rétribution.
C’est seulement dans cette fonction que le contrôle de proportionnalité par les juges trouve son utilité. La fonction de rétribution est punitive et vise à faire correspondre un mal équivalent à la faute commise. Et c’est justement la proportionnalité la condition majeure de l’efficacité de la fonction de rétribution d’une sanction. C’est d’ailleurs cette unique visée sur laquelle a été construit tout le système disciplinaire de la fonction publique. Cependant, il faut noter deux choses : Que si la sanction ne se borne qu’à une fonction de rétribution, elle n’est rien d’autre qu’une punition ; et que c’est cette même fonction de rétribution qui peut faire naître les sentiments d’injustice les plus profonds et donc impliquer le découragement des agents, quand elle n’est pas liée avec la quatrième fonction de la sanction.
Fonction socio pédagogique.
La fonction socio pédagogique [39] ou fonction expressive [40] s’exprime à travers des valeurs promues par la collectivité territoriale en visant à réparer le dommage social causé par la faute. Complètement absente du régime disciplinaire, cette fonction vise à se développer, en prenant exemple sur la justice restaurative. Ainsi, la priorité n’est plus punitive mais vise à remédier aux dommages résultant de la faute en aidant les victimes et en reconstruisant le lien social. Cette fonction permet de restaurer une légitimité de l’autorité dans la sanction en se concentrant sur l’aspect managérial de la collectivité.
Ainsi, la sanction n’est plus destinée à punir en étant remisé qu’a sa fonction rétributive mais bien à transmettre des valeurs et donc compléter les moyens de préventions aux atteintes déontologiques. Pour l’heure, cette fonction n’est pas permise par la lecture du Code général de la fonction publique mais elle se développe dans d’autres outils comme la médiation ou l’évaluation du climat social. On regrette qu’elle ne soit pas intégrée à la sanction puisqu’elle représente la seule source de légitimité que peut avoir une autorité à sanctionner.
En fait, le constat est simple, considérant le manque actuel de pédagogie dans les sanctions, et se renforce à chaque fois qu’un agent porte plainte contre son autorité territoriale à la suite d’une sanction, pour attaquer sa proportionnalité. Dans ces cas, on vérifie le fait que la légitimité de la sanction ne dépend que de sa capacité à engager positivement l’avenir de l’agent, et donc, dans ce qui nous intéresse : le régime disciplinaire interne, seule la fonction socio-pédagogique à de l’importance.
Conclusion.
Il résulte deux choses importantes à prendre en compte dans les conséquences des manquements à la déontologie sur le régime disciplinaire et un constat à faire. Pour commencer par le constat, c’est que la déontologie et le disciplinaire ont des conséquences individuelles sur la psychologie des agents, et collective sur le climat social qui peut en découler, et c’est pour cela que l’autorité territoriale ne doit pas méconnaitre ses propres obligations déontologiques résident dans la mise en place d’une politique axiologique fédératrice.
Pour les choses importantes, la première à souligner est le fondement de la légitimité à sanctionner, que l’autorité perd nécessairement dans le champ disciplinaire, attendu que déguisé en sanctions, ses caractéristiques ne sont que punitives alors qu’elles restent légitimes si elles ont des fonctions pédagogiques.
t la deuxième chose importante est que la précédente affirmation ne se vérifie qu’à l’unique condition que la pédagogie soit aussi présente (via les outils déontologiques) en dehors du champ disciplinaire. La déontologie gagne à être comprise et acceptée et s’il est du devoir des agents de respecter ses obligations, il en va de même pour l’autorité territoriale de les expliquer avant de condamner les manquements.
[1] Chroniques de l’Observatoire de l’Éthique Publique (1/3) : Ethique, Déontologie et Transparence, des notions qui agitent philosophes et juristes. Publié le 19 octobre 2022 à Village de la Justice. Auteur : Jean-François Kerléo.
[2] G. Bentham, Essai sur la nomenclature et la classification des principales branches d’art-et-science, 196 (Paris).
[3] Recherche & Formation « Éthique ou morale ? » Jacques Lagarrigue, Guy Lebe p122.
[4] Weber, 1995, p. 285.
[5] Weber, 1995, p. 95.
[6] Guide déontologique I, HATVP, publié le 16 avril 2019.
[7] Titre II : Obligations (Articles L121-1 à L125-3), Code général de la fonction publique.
[8] Perte de sens chez les agents du service public, collectif nos agents publics, dossier septembre 2021 https://www.bibliotheque-initiatives.fonction-publique.gouv.fr/files/2021-09/perte-sens.pdf
[9] Elles peuvent néanmoins s’y apparenter si elles sont intégrées au règlement intérieur de la structure.
[10] Faust (Goethe, trad. Porchat).
[11] Kojève : La notion de l’Autorité (1942).
[12] É. Durkheim, Éducation morale, Paris, puf, 1963.
[13] Du Code général de la fonction publique.
[14] Article 4 du Décret n° 2017-519 du 10 avril 2017 relatif au référent déontologue dans la fonction publique.
[15] Guide : Les recommandations de L’AFA, 4 décembre 2020, https://www.agence-francaise-anticorruption.gouv.fr/files/files/Recommandations%20AFA.pdf
[16] L’obligation de cartographie pèse sur les grandes sociétés et établissements publics industriels et commerciaux ayant plus de 500 salariés et réalisant plus de 100 millions d’euros de chiffre d’affaires.
[17] https://www.collectivites-locales.gouv.fr/reforme-de-la-responsabilite-des-gestionnaires-publics-les-consequences-pour-les-regisseurs
[18] Alexandre Kojève, La notion de l’autorité, collection Bibliothèque des idées, Gallimard, Paris, 2004, 208 pages.
[19] J.M. Guyau, Esquisse d’une morale sans obligation.
[20] É. Durkheim, Éducation morale, op. cit., p. 36.
[21] Alexandre Kojève, Esquisse d’une phénoménologie du droit, Gallimard, 1981.
[22] Décret n°89-677 du 18 septembre 1989 relatif à la procédure disciplinaire applicable aux fonctionnaires territoriaux.
[23] Idem.
[24] Fiche 36. La loi du Talion, Jean-Philippe Tricoit, Fiches de Culture juridique (2019), pages 235 à 239.
[25] Alexandre Kojève, La notion de l’autorité, collection Bibliothèque des idées, Gallimard, Paris, 2004, 208 pages.
[26] Dans le cas présent une émanation de la Cour des Comptes.
[27] Sanction et processus éducatif, Olivier Cadot, Dans La lettre de l’enfance et de l’adolescence 2004/3 (no 57), pages 75 à 80.
[28] Le processus éducatif, La construction de la personne comme sujet responsable, par Jacques Marpeau.
[29] Sanction et processus éducatif, par Olivier Cadot dans La lettre de l’enfance et de l’adolescence 2004/3 (no 57), pages 75 à 80.
[30] Les bilans sociaux, révélateurs des inégalités dans la fonction publique territoriale, La gazette des communes, publié le 08/01/2021 par Romain Mazon.
[31] Statut général des fonctionnaires.
[32] La justice restauratrice, Jacques Lecomte, Dans Revue du MAUSS 2012/2 (n° 40), pages 223 à 235 / Loi n° 2014-896 du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales (1).
[33] Réflexions sur la sanction dans le champ de l’éducation, Eirick Prairat, Dans La lettre de l’enfance et de l’adolescence 2004/3 (no 57), pages 31 à 44.
[34] Il faut néanmoins être conscient qu’il y a une différence sur le traitement (rémunération) qui continue à être perçu en cas de suspension mais pas en cas d’exclusion temporaire ou définitive.
[35] Les fonctions de la sanction pénale, Entre droit et philosophie, Michel van de Kerchove, Dans Informations sociales 2005/7 (n° 127).
[36] Ph. Robert, op. cit., p15/16.
[37] G. Kellens, op. cit., p194.
[38] P. Poncela, "Eclipses et réapparition de la rétribution en droit pénal", rétribution et justice pénale, PUF, 1983, P15.
[39] G.Kellens, op. cit. p.194.
[40] J.Fainberg, op.cit., p102 et Sqq.
ความคิดเห็น