En sachant que le critère d’exclusion de la reconnaissance de la maladie professionnelle repose sur le fait personnel de l’agent, et qu’il n’y a pas de maladie plus personnelle et dépendante des individus que l’épuisement professionnel, nous allons nous intéresser aux moyens de reconnaissance de cette maladie et aux critères de son imputabilité au service.
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Au sommaire de cet article...
Introduction : Rappel sur les conditions d’octroi d’un CITIS.
Le Congé pour Invalidité Temporaire Imputable au Service (CITIS) est un droit accordé au fonctionnaire en activité en cas d’accident de service, d’accident de trajet ou d’une maladie professionnelle.
Le CITIS est le régime unique sous lequel est placé le fonctionnaire pendant la durée de l’arrêt de travail consécutif à un accident de service ou suite à un accident de trajet ou une maladie contractée en service. Le point qui nous intéresse dans cet article qui traite de l’épuisement professionnel (ou burn-out), est celui de la maladie contractée en service.
Le premier point important à souligner est le critère qui fait sortir du champ de prétention au CITIS les agents contractuels, mais aussi les agents en disponibilité et plus surprenant les fonctionnaires en fonctions affiliés à l’IRCANTEC [1].
Un autre point qu’il faut souligner est que le CITIS est accordé ou non par l’autorité territoriale qui reconnaît l’imputabilité, donc le lien entre la maladie (ou l’accident) et le service (sous réserve d’un formalisme qui sera exposé plus en détail dans le corps de l’article) et qu’il peut placer le fonctionnaire provisoirement en CITIS dans certains cas qui seront aussi exposés. Le placement en CITIS provisoire peut néanmoins permettre à l’administration employeuse un délai supplémentaire.
Il faut par ailleurs savoir que les employeurs, collectivités locales comprises, ont des obligations en matière de santé et de sécurité au travail [2]. Ainsi, il apparaît qu’il appartient à l’employeur de veiller à la santé physique et mentale des agents sous sa responsabilité. Il est intéressant d’évoquer qu’il s’agit d’une obligation de résultat.
En sachant que le critère d’exclusion de la reconnaissance de la maladie professionnelle repose sur le fait personnel de l’agent, et qu’il n’y a pas de maladie plus personnelle et dépendante des individus que l’épuisement professionnel, nous allons nous intéresser aux moyens de reconnaissance de cette maladie et aux critères de son imputabilité au service.
I. La reconnaissance du burn-out comme maladie professionnelle.
Si un doute subsistait entre le caractère de maladie ou d’accident de l’épuisement professionnel, un récent arrêt du Conseil d’Etat [3] nous permet de clarifier la position retenue par les juges. En effet, il est question de ne pas confondre l’accident en lui-même et la pathologie qui peut en découler. La Cour d’appel de Nantes avait alors soutenu, a tort, une agente qui demandait la reconnaissance d’un accident de service à sa collectivité à la suite d’un entretien avec son supérieur hiérarchique.
Il en ressort deux points particulièrement intéressant, notamment dans le 3ᵉ considérant de cet arrêt, que :
« Constitue un accident de service, pour l’application des dispositions citées au point 2, un événement survenu à une date certaine, par le fait ou à l’occasion du service, dont il est résulté une lésion, quelle que soit la date d’apparition de celle-ci. Sauf à ce qu’il soit établi qu’il aurait donné lieu à un comportement ou à des propos excédant l’exercice normal du pouvoir hiérarchique, lequel peut conduire le supérieur hiérarchique à adresser aux agents des recommandations, remarques, reproches ou à prendre à leur encontre des mesures disciplinaires, un entretien entre un agent et son supérieur hiérarchique ne saurait être regardé comme un événement soudain et violent susceptible d’être qualifié d’accident de service, quels que soient les effets qu’il a pu produire sur l’agent ».
Apparait alors que la condition de l’exercice normal du pouvoir hiérarchique soit l’approche à retenir pour différencier l’accident de la maladie.
Un second élément reste cependant à prendre compte, qui se trouve dans le 4ᵉ considérant qui approche la véritable problématique : « il n’est pas établi qu’il aurait donné lieu à un comportement ou à des propos excédant l’exercice normal du pouvoir hiérarchique [...] Il s’ensuit qu’en statuant sur la question de la reconnaissance de l’imputabilité au service d’une pathologie, et non sur la question de la reconnaissance de l’imputabilité au service de l’accident survenu le 26 septembre 2016 dont elle était saisie, la cour administrative d’appel a méconnu les termes du litige ». On constate donc l’importance de la distinction qui survient devant les juges entre maladie et accident.
L’accident aurait néanmoins pu être retenu dans le cas d’un comportement ou de propos tenus par le supérieur hiérarchique excédant l’exercice normal du pouvoir hiérarchique. Ainsi, on retient que l’accident se caractérise par un événement soudain et violent, alors que l’épuisement professionnel est plus susceptible de se manifester par une succession d’événements [4].
L’enjeu pour un fonctionnaire de réussir à faire reconnaître un CITIS est crucial, qu’il soit dû à un accident ou à une maladie professionnelle, puisque cela lui permet de conserver l’intégralité de son traitement [5] (et ce jusqu’à ce qu’il soit en état de reprendre son service ou jusqu’à la mise à la retraite). Nous voyons donc déjà la plus-value par rapport aux Congés Maladie Ordinaires/Congés Longue Maladie. Au sujet des primes relatives au RIFSEEP (IFSE et CIA), le régime indemnitaire de l’agent placé en CITIS sera maintenu si la délibération de mise en place le prévoit explicitement. L’agent ne pourra pas dans le cas contraire.
L’agent conserve aussi ses avantages familiaux (le SFT) et son indemnité de résidence [6]. De plus, sa reconnaissance permet la prise en charge par la collectivité et donc le remboursement des honoraires et autres frais médicaux.
A) Procédure de reconnaissance des maladies professionnelles dans la Fonction Publique Territoriale et de son imputabilité au service, attention aux régularisations de situations.
La question de la reconnaissance de l’imputabilité de la maladie au service est le critère sine qua non d’un CITIS. Il existe une présomption d’imputabilité lorsque la maladie contractée par le fonctionnaire est désignée par les tableaux de maladies professionnelles mentionnées aux articles L461-1 et suivants du Code de la sécurité sociale, et contractée dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice des fonctions dans les conditions mentionnées dans ces tableaux afin de faciliter la démarche de reconnaissance pour les fonctionnaires qui demandent la reconnaissance du CITIS [7]. Cette présomption permet de retourner la charge de la preuve, et cela permettra donc à l’administration de prouver que la maladie n’a pas de lien avec les fonctions qu’a occupées l’agent. Néanmoins l’épuisement professionnel ou burn out ne faisant pas partie de ce tableau, la charge de la preuve repose sur l’agent.
Pour rappel, le fonctionnaire qui souhaite faire reconnaître le CITIS doit adresser une déclaration d’accident ou de maladie professionnelle composée :
d’un formulaire de déclaration précisant les circonstances de l’accident ou de la maladie. (Il devra faire la demande à sa collectivité employeuse qui aura 48 heures pour lui transmettre) ;
d’un certificat initial établi par le médecin précisant la nature et le siège des lésions, ainsi que le cas échéant, la durée probable de l’incapacité de travail ;
les éléments en sa possession permettant d’établir la matérialité des faits.
Dans le cadre de la demande de CITIS pour une maladie professionnelle, la déclaration doit être faite dans les 2 ans suivant la date de constatation ; en général pour les cas d’épuisement professionnel, elle est à lieu à la suite de l’inaptitude au travail de l’agent.
Suite à la demande formalisée, l’employeur public à plusieurs options, il peut :
diligenter une enquête administrative visant à établir la matérialité des faits et les circonstances ayant conduit à la survenance de l’accident ou de la maladie ;
faire procéder à une expertise auprès d’un médecin agréé notamment si la maladie n’est pas mentionnée dans le tableau des maladies (comme c’est le cas pour le burnout).
Un problème d’ordre déontologique apparait alors, puisque la collectivité est nécessairement en position de conflit d’intérêts et son l’objectivité peut facilement être mise en doute puisque la procédure nécessite qu’elle reconnaisse un manquement à son l’obligation de prévention des risques professionnels. Ce manquement, et les interférences dans sa reconnaissance par la collectivité sont d’autant plus inquiétants qu’une étude démontre que seulement 33% des collectivités territoriales ont mis en place le DUERP [8].
Elle devrait être amenée à reconnaître qu’elle aurait failli à son obligation de résultat en matière de santé au travail des agents sous la responsabilité de la collectivité, et ainsi en subir les conséquences ; d’où certaines réticences qui peuvent apparaitre à l’attribution du CITIS ou d’où le recours aux enquêtes administratives [9]. Ce conflit d’intérêts peut être atténué du fait que les collectivités peuvent s’assurer pour se prémunir contre le cout financier que la reconnaissance du CITIS mais il serait intéressant d’avoir des statistiques pour savoir si le caractère de la responsabilité financière du CITIS donne plus de souplesse à la collectivité pour le reconnaître comme imputable au service.
Nous rappelons néanmoins, le burn-out n’étant pas dans le tableau, l’autorité territoriale a l’obligation de saisir la commission de réforme pour pouvoir refuser de reconnaitre l’imputabilité de la maladie. Cette commission est chargée de fournir un avis consultatif, qui, de ce fait, ne lie pas l’autorité territoriale [10]. La jurisprudence [11] indique même que son avis n’est qu’un élément de la procédure qui aboutit à la décision de l’autorité territoriale. En lui-même, il ne fait donc pas « grief » et il ne peut pas faire l’objet d’un recours devant le juge.
En termes de délai, l’administration a 2 mois à compter de la réception de la déclaration et, le cas échéant, des résultats des examens complémentaires prescrits aux tableaux des MP. Elle peut néanmoins avoir un délai supplémentaire de 3 mois si elle ouvre une enquête administrative (pour les maladies non désignées au tableau, comme c’est le cas), si elle demande une expertise auprès d’un médecin agréé ou si elle saisit la commission de réforme. Comme nous le rappelons, la collectivité à l’obligation de saisir la commission de réforme dans le cadre de l’épuisement professionnel, elle a donc 5 mois pour se prononcer sur la reconnaissance du CITIS ou la non imputabilité de la maladie contractée aux fonctions exercées par l’agent.
Ces délais sont inadaptés puisqu’il est même réglementairement “prévu” que l’administration ne les respecte pas. En effet, cela se voit par la situation de l’agent demandeur du CITIS qui est placé en congé de maladie ordinaire le temps de l’instruction et en CITIS provisoire au terme des délais.
Pour reprendre l’arrêt du CE pris en exemple pour faire la distinction entre la maladie professionnelle et l’accident de service [12], la demande de la reconnaissance de l’imputabilité au service d’un accident porte sur un accident du 26 septembre 2016, une demande de reconnaissance par l’agente de l’accident, le 10 octobre 2016, la commission de réforme a donné son avis le 6 avril. Aucune décision n’a été prise jusqu’à ce que la collectivité ne demande un second avis le 20 septembre 2017, pour enfin recevoir un avis négatif par arrêté du 23 octobre 2017. On constate donc que la collectivité a mis plus d’un an pour traiter la demande.
La conception du CITIS provisoire semble bonne de prime abord, puisqu’un agent placé en CITIS provisoire est en droit de penser que les délais supplémentaires résident d’un doute qui lui profitera. En effet, le CITIS provisoire ouvre droit pour l’agent au versement de son plein traitement et au remboursement de ses frais médicaux, le temps que son administration prenne sa décision, ce placement peut être source de nombreux problèmes sans que l’agent ne puisse rien y faire.Il faut souligner que les enquêtes administratives peuvent prendre du temps, en effet, un rapport de 2021 de l’IGESR [13] mentionne : « En pratique, une mission d’inspection durera rarement moins de six à huit semaines ». Pour le cas de la Fonction Publique Territoriale, le délai se compte souvent en mois…
Le point particulièrement vicieux de ce dispositif réside dans le fait que le placement en CITIS provisoire peut être retiré par l’autorité territoriale si elle décide, après avis de la commission de réforme et éventuellement de son enquête administrative, de ne pas reconnait l’imputabilité de la maladie au service. Dans ce cas, l’autorité sera fondée à demander le remboursement des sommes versées tant au titre du maintien de traitement que des frais médicaux engagés. En d’autres termes, l’agent devra rembourser tout ce qu’il a « injustement » perçu du fait de la lenteur de son administration à statuer sur son cas.
Nous pouvons aussi consulter l’article 47-9 du décret n° 86-442 du 14 mars 1986 qui dispose dans le second paragraphe que, dans le cas où l’administration ne constate pas l’imputabilité au service, elle retire sa décision déplacement à titre provisoire en congé pour invalidité temporaire imputable au service et procède aux mesures nécessaires au reversement des sommes indûment versées qui est terrible pour la victime, surtout quand l’administration est bien fondée dans la prise en compte du critère intuitu personae.
B) La reconnaissance du burnout comme maladie professionnelle.
Le burnout est défini par la Haute Autorité de Santé comme : « Le syndrome d’épuisement professionnel, équivalent en français du terme anglais burnout, se traduit par un épuisement physique, émotionnel et mental qui résulte d’un investissement prolongé dans des situations de travail exigeantes sur le plan émotionnel » [14].
Cette institution précise que « les travaux de Christina Maslach ont permis de concevoir le syndrome d’épuisement professionnel comme un processus de dégradation du rapport subjectif au travail à travers trois dimensions : l’épuisement émotionnel, le cynisme vis-à-vis du travail ou dépersonnalisation (déshumanisation, indifférence), la diminution de l’accomplissement personnel au travail ou réduction de l’efficacité professionnelle ». Nous pouvons donc affirmer, au vu de ces définitions, le lien indiscutable qui apparait entre cet état personnel, les occurrences de la survenue de ce risque et la fonction occupé dans la collectivité.
Le tableau des maladies professionnelles est souvent abordé depuis le début de cet article. En l’état actuel de l’annexe 2 de l’article 461-3, il s’agit en fait de 102 tableaux traitant quasiment tous de situations spécifiques aux familles de risques présents dans les DUERP. On y trouve de l’« Affections dues au plomb et à ses composés » [15] jusqu’au « Cancer de la prostate provoqué par les pesticides » [16].
Il faut souligner qu’aucune maladie ou condition liée aux risques psychosociaux n’en fait partie.
De ce fait, il faut se référer à l’article L461-1 du Code de la Sécurité sociale qui prévoit qu’une maladie non inscrite peut être reconnue comme professionnelle. Pour cela, elle devra être « essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu’elle entraîne le décès de celle-ci ou une incapacité permanente ». La non inscription au tableau fait néanmoins perdre la Présomption d’imputabilité.
Puisque l’épuisement professionnel n’est pas dans le tableau mentionné, le fonctionnaire ou ses ayants droit doivent établir que la maladie est essentiellement et directement causée par l’exercice des fonctions et qu’elle entraîne une incapacité permanente au moins égale à 25% [17]. Cette logique de pourcentage semble complètement déconnectée de la réalité dans le cadre des maladie psychiques et donc l’épuisement professionnel. C’est d’ailleurs une des raisons qui fait qu’il est difficile pour les agents de prouver que leur état de santé mentale est imputable à leur service et qu’il remplit les autres conditions (détaillées en note 15). C’est d’ailleurs en ce sens qu’une proposition de loi a été portée par François Ruffin en 2018 qui, visait l’inscription de pathologies psychiques (avec notamment l’épuisement professionnel [18]) au tableau des maladies professionnelles. Cette inscription aurait permis de retourner la charge de la preuve et ainsi de faciliter la procédure de reconnaissance pour l’agent victime. Cette loi a pourtant été rejetée, attendu qu’il n’y a pas de moyens fiables de mesurer l’épuisement professionnel. Du fait de ce refus, l’agent victime doit prouver les 3 critères de : l’origine professionnelle de sa maladie, le lien direct et essentiel avec les missions et le pourcentage d’incapacité.
En admettant que la commission admette le pourcentage d’incapacité, il faut encore que l’administration reconnaisse raisonnablement l’origine et le lien, et nous avons déjà évoqué le un potentiel manque d’objectivité de la collectivité dans cette reconnaissance, mais se pose en plus pour l’agent un facteur dépendant exclusivement de sa personne et de ses fonctions, que nous retenons ainsi comme détachable du service.
II. Le facteur intuitu personae.
En l’absence de tout critère objectif permettant de mesurer le syndrome d’épuisement professionnel, il nous faut nous intéresser aux différents liens entre les facteurs personnels et professionnels qui peuvent créer cet état psychologique. Le facteur intuitu personae se définit comme un facteur en lien avec la typologie ou de la qualité des relations d’un individu. Ce facteur est donc personnel et dans le cadre de cet article, il se matérialise par la mesure des missions alléguées à un individu en fonction de ses compétences, et de sa fragilité psychologique.
A) La prise en compte du comportement des agents.
Un premier point que nous pouvons démontrer est celui de la dégradation des conditions de travail du fait du comportement de l’agent.
Ce facteur intuitu personae peut s’estimer à travers la responsabilité de l’agent en renvoyant les conséquences à la notion de détachabilité de la maladie au registre professionnel. En effet, le Conseil d’Etat [19] a précisé que, pour être considéré comme imputable au service, une maladie doit présenter un lien direct avec l’exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie. Un facteur d’exclusion de cette reconnaissance nait si un fait personnel (de l’agent) ou toute autre circonstance particulière conduit à détacher la maladie du service. Si cet argument parait logique et indiscutable, il faut être conscient qu’il est plus à estimer ces critères dans le cadre des maladies physiques, alors qu’un doute sera toujours présent quant à l’état psychologique.
Il ressort de cet arrêt du Conseil d’Etat que le fait d’infliger une sanction disciplinaire à un agent, même sans volonté délibérée de porter atteinte à ses droits, à sa dignité ou à sa santé (mentale comprise) peut amener à reconnaitre l’imputabilité au service d’une maladie. Nous pouvons faire le lien, pour aller plus loin dans la démarche avec l’article « La prévention des risques professionnels et volet disciplinaire des agents publics » dont un des points traités était, entre autres, la méconnaissance de l’employeur de l’influence que peut avoir l’environnement de l’agent sur son comportement et sur son usure morale.
A l’inverse de l’arrêt précédemment cité, il a été estimé par la Cour Administrative d’Appel de Nantes [20] que le comportement d’une secrétaire de mairie ayant adopté une attitude faisant opposition au Maire nouvellement élu, remettant en cause son autorité et ses instructions, pourtant directement à l’origine des tensions ayant occasionné la pathologie qui a justifié les arrêts de travail dont la secrétaire a bénéficié, constitue un fait personnel de l’agent de nature à détacher du service la survenance d’une telle pathologie. Ainsi le CITIS ne peut pas être reconnu, alors que le lien direct avec l’exercice des fonctions est certain, à cause d’un fait personnel de l’agent, en l’occurrence son comportement de défiance qui conduit à détacher la maladie du service.
L’arrêt du Conseil d’Etat [21] qui mentionnait la reconnaissance de l’imputabilité de la maladie au service aurait pu aller dans le même sens que celui de la cour administrative d’appel [22], attendu que le comportement de défiance des agents est présent dans les deux arrêts. En effet, le Conseil d’Etat mentionne dans son 5ᵉ considérant : « en s’engageant de longue date dans un processus d’opposition systématique à son employeur et en s’opposant à toute évolution du service, et en amplifiant cette attitude après la sanction du 3 juin 2013 au point de rendre impossible les relations de travail avec son employeur, Mme A... était à l’origine de l’épuisement professionnel et des conditions de travail dégradées dont elle se plaignait ».
Il est alors intéressant de réaliser que c’est l’exercice normal du pouvoir hiérarchique à travers le recours au registre disciplinaire qui est la cause de la reconnaissance l’imputabilité au service. Le fait personnel du comportement de l’agent est négligé attendu que sa maladie ne découlerait plus (contrairement au cas de la CAA) de la dégradation des relations au travail mais de l’« anxiété provoquée par les procédures disciplinaires dont elle avait fait l’objet avait un lien direct avec son activité professionnelle ». Le point qui reste à souligner nous permet de faire un parallèle avec le harcèlement moral, puisqu’il est aussi question, que ça soit dans la reconnaissance d’un harcèlement ou dans la reconnaissance de l’imputabilité d’une maladie professionnelle, que la volonté délibérée (ou non) de porter atteinte aux droits, à la dignité ou visant à altérer la santé de l’agent n’a aucune sorte d’importance.
B) La prise en compte du pouvoir managérial des agents.
Nous pouvons aussi évaluer l’imputabilité au service d’une maladie à travers la responsabilité managériale des agents en souffrance.
La cour administrative d’appel [23] a dû se prononcer dans un arrêt sur l’imputabilité d’un état anxiodépressif réactionnel d’un directeur des services techniques. Il en ressort que l’agent est qualifié et perfectionniste, ce qui pourrait être la cause de ses maux, devenant ainsi un fait personnel détachable du service. Mais les juges ont estimé que : l’agent ayant réussi à démontrer l’ampleur de ses missions, les nombreux dysfonctionnements du service et l’insuffisance des moyens mis à disposition de l’agent pour accomplir ses missions, la reconnaissance de l’imputabilité de la maladie au service était permise. Ainsi le caractère perfectionniste n’était pas de nature à détacher du service la survenance de sa pathologie. Une nuance est importante à apporter sur cet arrêt, puisque bien que daté du 05 janvier 2023, il est fait mention dans le 6ᵉ considérant que la pathologie de l’agent a été diagnostiquée avant l’entrée en vigueur, le 13 avril 2019, des dispositions de l’article 10 de l’ordonnance du 19 janvier 2017. Ainsi, la reconnaissance de l’imputabilité au service de sa pathologie est examinée par les juges au regard des anciennes dispositions d’imputabilité [24]. Nous l’avions précisé plus tôt, la reconnaissance d’un CITIS dépasse généralement allégrement les délais légaux prévus.
Dans un autre arrêt, la Cour Administrative d’Appel de Nantes [25], a estimé qu’un ancien Directeur Général des Services (DGS) n’avait pas droit à la reconnaissance de son syndrome anxiodépressif comme maladie professionnelle. Il est question, et c’est ce qui est particulièrement intéressant, de constater que le management exigeant et directif pratiqué par ce dernier est retenu comme la cause de son état. Son statut de directeur et son influence dans l’organisation des services font qu’il s’agit d’un fait personnel de nature à détacher la maladie du service. Cet arrêt fait aussi mention du stress et de la souffrance d’autres agents de la collectivité en raison des pratiques de ce DGS. En lien avec ces pratiques, nous pourrons évaluer dans un prochain article la reconnaissance de la maladie professionnelle lorsqu’elle fait suite à du harcèlement moral. Avant cela néanmoins, nous pouvons mettre en évidence, en comparant ces deux arrêts qui mettent en évidence des agents au caractère similaire, que les juges se sont intéressés, en plus des raisons de leur stress, la cause de leur maladie, à leur importance dans l’organisation des services et donc à l’impact de leur personnalité sur la collectivité. En effet, dans le second arrêt, un doute raisonnable permettait d’imputer la pathologie du directeur à ses fonctions de directions, évidemment source d’une exposition à un stress professionnel intense.
NB : La lecture des jurisprudences nous fait remarquer que les juges préfèrent la reconnaissance du syndrome anxiodépressif à celui d’épuisement professionnel.
Pourtant ce syndrome a une portée plus générale, notamment possiblement individuelle et émanent de la sphère privée, alors que l’épuisement professionnel se concentre davantage sur les conditions de travail.
Pour ouvrir sur les cas de harcèlement moral et de reconnaissance de CITIS :
Il faut déjà préciser que l’imputabilité du congé maladie pour épuisement professionnel n’est pas liée à la reconnaissance du harcèlement moral. S’il est intéressant de le rappeler, nous pouvons alors nous demander si à l’inverse la reconnaissance du harcèlement moral peut induire de façon presque indéniable l’imputabilité du congé maladie pour épuisement professionnel.
C’est l’une des suppositions que nous pouvons avancer mais qui sera étayée dans un autre article.
[1] Le CITIS reste possible pour les fonctionnaires retraités percevant une pension de retraite CNRACL.
[2] Décret n° 85-603 du 10 juin 1985 modifié et partie IV du Code du Travail.
[3] Conseil d’Etat, 15 mai 2023, req. n°455610.
[4] La question de la reconnaissance du burnout à la suite d’un accident soudain et violent reste entière.
[5] Article 21 bis de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983.
[6] S’il ne change pas de résidence.
[7] Dans le cadre des accidents cette présomption porte sur un accident dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice des fonctions ou d’une activité qui en constitue le prolongement normal.
[8] La même étude montre que cette statistique st de 75% dans la FPH, 51% dans la FPE, et de 93% dans le secteur privé ; Prévention des risques professionnels : état des lieux des mesures mises en œuvre par les employeurs publics et privés, Publié le 25 avril 2016 par Rédaction Weka.
[9] Dont les conclusions ne lient pas la collectivité employeuse.
[10] CE 2 février 1998, req n°135799.
[11] CE 26 février 1988, req n°48718.
[12] CE 15 mai 2023, req. n°455610.
[13] https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/sites/default/files/2021-09/rapport-igesr-2021-116-12962.pdf Page 2.
[14] Schaufeli WB and Greenglass ER. Introduction to special issue on burnout and health. Psychol Health 2001 ;16(5):501-10 https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2017-05/dir56/fiche_memo_burnout.pdf
[15] Annexe II : Tableau n° 1.
[16] Annexe II : Tableau n° 102.
[17] Etant d’origine dijonnaise, nous pouvons préciser que c’est la loi Rebsamen de 2015 a permis aux pathologies psychiques d’être reconnues comme maladies d’origine professionnelle à condition que le salarié établisse devant un comité régional, que sa maladie est essentiellement et directement causée par son travail habituel et qu’elle ait entraîné les au moins 25% d’incapacité permanente/article 37-8 décret n°87-602.
[18] Mais aussi la dépression, l’anxiété généralisée, le stress post-traumatique.
[19] CE 13 mars 2019 req n°407795.
[20] CAA Nantes 6 décembre 2019, req n° 17NT03285.
[21] CE 13 mars 2019 req n°407795.
[22] CAA Nantes 6 décembre 2019, req n° 17NT03285.
[23] CAA de douai, 5 janvier 2023, req. n°22DA00926.
[24] Citées au point 3, du deuxième alinéa du 2° de l’article 57 de la loi du 26 janvier 1984.
[25] CAA de Nantes, 24 mars 2023, req. n°21NT02414, à ne pas confondre avec un autre arrêt de la même CAA, le même jour, req. n°22NT00083 ou il était aussi question de la reconnaissance d’un accident de service pour avoir éprouvé un choc après avoir entendu des propos pénibles
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